Antoine est un tueur. Nom de code, Lapin. 

Il va vite, mais il commence à ralentir l’archange de la mort. 

À 60 ans, il contemple l’idée de la retraite avec délice. Marcher dans son village du sud, tranquille, sans penser à la prochaine cible, à la méthode, aux traces à effacer. 

Rien, juste lui et Luce.

Luce c’est son golden retriever, seul signe extérieur de richesse. Putain, une vrai princesse celle-là, pure race il en est sûr. Son père s’appelait Phoebus, y’a du sang bleu dans cette lignée canine. 

Elle est belle, gracieuse, solaire. C’est son point d’ancrage dans cette vie passée entre l’hémoglobine et le bruit des flingues. 

À chaque fois qu’il rentre à la maison, elle est là, tranquille, pas de stress, pas de mission, si ce n’est manger, dormir, baiser parfois quand elle croise un copain.

Ce mardi, c’est spaghetti pour l’homme, croquette pour la belle. Dans son temps libre, et après chaque mission, il prend un mois pour améliorer une compétence, et la cuisine est l’une de celle qu’il maîtrise le mieux après le fusil de précision longue distance SVRF-44.

Simple, efficace, comme la carbonara qu'il commence à connaître.

Comme ça tient un peu à l’estomac, après le déjeuner il sort pour la promenade. À ses côtés, Luce, toujours, et dans sa poche un Glock 9mm assez discret.

On ne sait jamais, 45 ans de carrière dans l’élimination de la race humaine, certaines personnes peuvent lui en vouloir et ça peut venir de nulle part. Les jeunes sont doués et leurs méthodes nouvelles, faut rester attentif.

Rien à faire à présent, juste se tenir tranquille, profiter de ses sous, peindre, lire et jouer au scrabble à la mairie tous les samedis. La retraite, tueur ou pas, sera la même pour tout le monde.

Il entend le bruit des gosses et de leurs scooters, des cons qui foutent la merde dans le village. Ils sont pas méchants mais ils manquent de finesse dans l’intellect et ça c’est vulgaire. 

Dans le village c’est leur seule occupation, le bruit. Et en plus aujourd’hui y’a visite de ministre à L’Isle-sur-la-Sorgue, alors c’est parade, tout le monde y va de son boucan.

Loin du raffut, il traverse la place du village et regarde le spectacle. Une tribune, le politique, les gens. Tous des veaux les français, pas méchants non plus mais bien assez bêtes pour se laisser faire sans trucider les responsables de ce merdier. La télé, Netflix, ça les calme. Du pain et des jeux.
Il a bien essayer de s’y mettre lui aussi. L’an dernier il a commencé House of Cards. Putain ! Ça l’a rendu fou ce truc là. C’est le pompon, ça te montre sous forme de divertissement bien ficelé comment ils se font entuber profond par les fumiers au pouvoir à coup de magouilles, de corruption, de détournement et tout le tutti. Et les gens, ravis par l’épisode du soir, bien nourris, ils bougent plus, rassasiés.
Comme quand t’as trop mangé, la flemme de se battre et de répandre la mort à présent. On reste tranquille sur le canapé à regarder la soupe. Faut dire qu’ils sont malins les gars en haut, la soupe elle est bien bonne. Chapeau les artistes, marionnettistes et tireurs de ficelles :
“Eh on va leur montrer comment on les encule mais on va faire passer ça pour du divertissement ok ? Et le soir ils materont ça sur un de leurs écrans et comme ça “Pas bouger Médor coucouche panier !”
Du pur génie.
Les gens à force ils en ont oublié leurs compétences de coupeurs de têtes, les couillons. A lui on la fait pas, il gagne un pognon fou pour éliminer n’importe qui, y’a personne qui l’emmerde.

 Il continue sur son chemin et laisse le bétail humain de côté. Il traverse le pont et longe la rivière, ce coin tranquille où il a si longtemps réfléchit au meilleur moyen d’éliminer sa prochaine cible.  La marche dans la nature, au bord de l’eau, y’a pas à dire, ça aide à s’éclaircir la tête. 

C’est important de faire le vide avant de tuer un homme, être là, dans le présent, pas tout foutre en l’air parce qu’on est encore dans le passé ou le futur, nan, là, en plein conscience de son acte odieux.

« Allez, retour à la maison la Lucette ! »

La place se libère petit à petit, deux berlines transportent l’une des têtes du gouvernement, il peut pas la voir en peinture celle là. La pourriture ça se lit sur un visage, il est sensible à ça Antoine. 

Au moment où les berlines démarrent, la bande de jeunes déboule en trombe pour faire peur aux passants et montrer qu’elle existe. C’est réussit, le chauffeur, un jeune encore tout fier de sa place dans la garde rapprochée, tente le forcing. Le premier scooter l’évite mais pour les suivants ça devient compliqué.

Ça va très vite mais tout ce qu’il sait c’est que la voiture est passée à deux doigts de ses jambes et que le capot est collé au mur, une légère fumée s’en dégage. 

Un cri le réveille, merde y’a un blessé. 

Puis il comprend, il se baisse et voit les pattes de l'animal qui tremblent, doucement. 

Et son appel à l’aide.

"Putain, Luce, nan, pas toi… » 

Il regarde ce spectacle, celui de ce qu’il a de plus cher au monde, en souffrance, qui le regarde et semble lui demander ce qu’il se passe, et si ça va aller comme il faut.

« Hein, dis, ça va aller mec ? » 

À voir le sang et l’état de son petit corps, ça va pas le faire, et ça Antoine le sait. 

Le sang il connaît, les blessures mortelles aussi.

Putain, merde Luce on allait pouvoir se caler tranquille tous les deux, et j’allais prendre soin de toi.

« Merde. » 

Il tire son pistolet de sa poche et d'une balle termine la route de sa bonne copine à poils longs. 

Quelle beauté celle là, y’a pas à dire y’a du sublime dans cette vie et parfois là où on s’y attend pas. 

Rapidement, le reste du chargeur est dédié au chauffeur, deux gardes du corps et le ministre qui le mérite aussi tiens, ça lui apprendra à jamais payer pour ses erreurs. 

Et puis quitte à faire le ménage il termine les deux jeunes en scooter, ça leur apprendra à eux aussi à pas savoir respecter le beau.

Vide, le flingue tombe à terre, et Antoine qui connait la procédure s’assoit là, paisible. C’est tranquille ici mais les sirènes vont pas tarder. 

Il passe une main sur le corps de la chienne et sa main devient rouge, au cas où on se sache pas qui est le coupable. 

Putain ils vont en trouver de belle les flics à la maison, il vont pas en revenir d’avoir enfin mis la main sur « Lapin ».